A l'ombre d'un saule

Ysaak avait passé le portail de l'école, et se dirigeait vers le parc, quelques centaines de mètre plus loin. Il marcha dans les allées, à l'ombre des grands arbres, et se laissa tombé sous un saule, à l'abri de ses grandes branches, pleurant comme lui le fit tout à l'heure. S'installant entre ses racines, et après avoir vérifié avec attention et prudence, que personne ne venait, il retira à nouveau son manteau qu'il roula en boule, derrière sa tête, s'allongeant dans l'herbe fraîche de l'ombre de ce grand arbre. Il tournait parfois la tête, il espérait peut-être de voir Uial arrivé, avec son petit chariot, qu'il poussait devant lui. Il n'arrivait pas à réaliser que soudain, il attendait l'arrivé de quelqu'un d'autre que son corbeau ou que Ma. Se plaçant sur le côté, il ferma les yeux, écoutant calmement le bruit de cette flore qu'on aurait pu lui apprendre à^connaître.

Uial était donc rentré chez lui, après avoir salué Naur, et s'était glissé avec délice sous la douche, afin d'ôter sa sueur et la terre qui le parsemait, et de délasser ses muscles.
Il avait ensuite mangé un bout, juste une galette elfique avec un verre de lait, puis, habillé de propre, il était ressorti.
Il ne supportait pas de rester enfermé tant qu'il faisait encore suffisament jour au-dehors. Et il espérait secrètement croiser Ysaak...
Il se rendit en premier lieu au parc, là où le brun lui avait dit qu'il se rendait plus tôt dans l'après-midi, mais sans grand espoir, car plus de quatre heures s'étaient écoulées.
Il flâna le long des allées taillées par ses soins, respirant l'air chaud chargé d'odeurs estivales, souriant de voir les oiseaux batifoler dans les fontaines claires.
Au détour d'un chemin, il apperçu un corps allongé sur l'herbe, à l'abri derrière un rideau de branches de saule pleureur.
Son coeur se mit à battre plus fort et il se raidit. Il se mit à avancer, de plus en plus vite, vers cet endroit, et découvrit avec surprise que c'était bien celui qu'il cherchait, simplement endormit en chien de fusil.
Il soupira de soulagement et passa le rempart de branchages pour venir s'assoir silencieusement à côté d'Ysaak.
Il avait arrêté de pleurer. Et son attitude, qui pouvait sembler si paisible, ne collait pourtant pas avec l'expression de son visage: il fronçait légèrement les sourcils, et le pli de sa bouche n'avait rien d'un sourire. Il devait sûrement être perdu dans quelques sombres réminiscences...
Uial s'appuya au tronc sans rien dire, et laissa sa main caresser doucement les mèches brunes.

Il se réveillait à peine quand soudain il sentit quelqu'un s'asseoir à côté de lui. Il reconnut ce parfum immédiatement, après l'avoir si longuement respiré, tout à l'heure. Il ne broncha pas, se laissant faire, gardant les yeux fermés, même s'il mourait d'envie de les rouvrir. N'y tenant plus, un quart d'heure plus tard, il se tourna lentement, se remettant sur le dos, en fixant Uial, de ses yeux anormaux. Il avait l'étrange impression qu'il ne l'avait quitté que depuis quelques minutes, et le sourire de l'elfe, lui faisait du bien. Il prit son courage à deux mains, et tenta à son tour un sourire, maladroit, et certainement peu convaincant. Il alla inconsciemment à la recontre de cette main, et dit calmement :
"-Merci d'être venu."

Uial ne répondit rien.
Il se contentait d'apprécier le plaisir simple de cette si belle fin de journée et du contact du visage d'Ysaak sous ses doigts.
Il sentit comme un petit pincement au coeur lorsque le brun tenta un sourire. Il y était su peu habitué... mais cela n'en était que plus beau, plus vrai, plus pur.
Machinalement, les doigts d'Uial allèrent toucher les coins de cette bouche tordue en une esquisse de sourire, puis il les retira précipitament, comme brûlé, ou conscient de ce qu'il faisait, et posa ses mains sur son ventre, détournant le regard de celui, si envoûtant de par son étrangeté, d'Ysaak.
Enfin, le silence ne suffisait plus, et il déclara simplement:

- J'avoue avoir espérer vous trouver ici, mais je n'y croyais pas vraiment...

Ysaak sentit avec étonnement les doigts de de Uial effleurer sa bouche, et il finit par se redresser, s'asseyant près du fleuriste, sans savoir trop quoi dire. Il s'amusa à arracher quelques brins d'herbe, puis murmura :
"-Je me suis endormi, c'est vrai que je manque de sommeil ces temps-ci. Grace à ça, vous avez pu me retrouver... Je sais que vous pensez que je n'ai rien fait, mais c'est de ma faute, toute cette histoire, si je n'étais pas aussi peureux."
Il se tut une nouvelle fois, il n'avait jamais a alligner autant de mots qu'aujourd'hui; à un étranger, du moins. Il commençait à avoir froid, le soleil déclinait tout doucement et l'atmosphère se rafraîchissait lentement. Il posa son manteau sur ses épaules, sans le remettre pour autant, et continuait à tracer du bout d'une brindilles de petits dessins hybrides dans la terre, chassant une fourmi qui montait sur sa faim. Uial n'avait toujours pas répondu, il commençait àprendre peur.

Uial soupira.
Il avait terriblement envie de regarder encore Ysaak, mais cela ne paraîtrait-il pas suspect? Ou bien n'y avit-il que lui pour trouver cela étrange et mal placé?
Puis il céda à cette douce tentation.
Il chassa ses cheveux d'un coup d'épaule et sourit au professeur.

- Dans ce cas... Nous sommes coupables autant l'un que l'autre. J'ai été d'une maladresse impardonnable avec ma trop grande curiosité. Si j'avais seulement imaginé un quart de ce qu'il s'est passé..." il secoua la tête. "Ce qui est fait est fait n'est-ce pas? Le mieux est de s'en souvenir et de ne pas recommencer...

L'Elfe baissa la têt à la fin de sa phrase. Il avait la désagréable sensation de parler pour ne rien dire.
Il se mit à jouer avec une mèche de ses cheveux clairs, y faisant des noeuds et des tresses puis les défaisant.

Ysaak comprenait bien que Uial ne voulait pas le regarder, et la voix quelque peu nostalgique, il dit :
"-Vous ne voulez pas me regarder, n'est-ce pas ? Mais je comprends parfaitement. Je vous fait peur, je sais que je ne suis pas très beau, et cet oeil doit vous effrayer... J'aimerai faire disparaître cette cicatrice mais rien y fait."
Il ramena ses genoux contre sa poitrine, et posa son menton, dessus, perdu dans ses pensées. Avec ou sans, avant, même à Pandora, on l'avait toujours craint, à cause de l'être incongru qu'il représentait, une naissance étonnante, qui faisait peur, même à des démons. Fils du Chaos et du Néant, c'était tout ce qu'il était, mais visiblement ces deux parents sans âmes et sans matières étaient parfaits pour lui, sa vie était un chaos, et il avançait chaque jour dans le néant.
"-Je devrais peut-être rentrer, la nuit commence à tomber, et Ma va s'inquiéter... euh, continua t-il, en apercevant la lueur interrogative dans les prunelles de Uial, Ma est la femme avec qui je vis."
Ysaak eut un imperceptible petit sourire quand il parla d'elle. Il mentait vraiment, s'il affirmait qu'il n'avait pas vraiment de parents. Et même si Ma - son vrai prénom était Liviah - n'était pas sa mère, elle en avait pris le rôle, au cours de ses deux années, surveillant jusqu'à son alimentation, et ces fréquentations - il n'en avait même pas.
Ysaak fronça cependant les sourcils, était-ce de la déception qu'il lisait à présent dans les yeux clairs du fleuriste ?

Uial fut grandement surpris lorsqu'Ysaak lui demanda s'il ne le regardait pas parce qu'il avait peur.
C'était loin, mais alors vraiment très loin de la vérité!
Certes, ce regard inhabituel et meurtri avait quelque chose d'un peu dérangeant, mais on s'y faisait et ce n'était pas du tout désagréable. Au contraire, cela apportait une touche de charme étrange au jeune homme.
Uial aurait voulu lui expliquer qu'il se méprenait, mais Ysaak ne semblait pas vouloir s'étendre sur le sujet et restait silencieux et pensif.
Le blond ne savait pas trop quoi dire. Il continuait de lisser ses cheveux, espérant que son compagnon comprenne qu'il était gêné et non dégoûté.
Puis Ysak brisa le silence qui les séparait pour parler d'elle.
Certainement celle à qui il avait acheté la fleure le jour d'avant.
Ainsi, ce n'était pas une défunte épouse...
Sans savoir pourquoi, ou peut-être que si mais ne voulant en tout cas pas se l'avouer, Uial sentit une grande déception l'envahir soudain, comme une vague effaçant un frêle message écrit sur le sable.
Il sourit amèrement. Lui aussi, dans un lointain passé, avait vécu avec une femme...
Lentement, mettant de côté tout les sentiments torturés qui naissaient en lui, Uial répondit à Ysaak en baissant la tête.

- Oui, c'est peut-être mieux, sinon... vous risquez de lui faire peur inutilement." fit-il d'une voix qui se voulait chaleureuse, mais qui en réalité était pleine de regrets. "Je vais y aller moi aussi.

Il fallait se lever et partir à présent...

Ysaak hocha la tête, et se leva à son tour. Il eut un sourire, et répondit :
"-Et je ne voudrais pas lui faire peur. On ne doit jamais effrayé une mère, et Ma est un peu ça, pour moi, elle m'a aidé, quand j'en avais besoin.''
Et sans elle, où serait-il ? Mort, mangé par les charognards, et les verres. Etait-ce pire, d'ailleurs, que de vivre l'instant présent ainsi ? Il se sentait d'une étonnante humeur bavarde, et tandis qu'ils commençaient à marcher vers la sortie, il demanda, d'une voix timide :
"-Et vous, quelqu'un risquerait-il d'avoir peur, si vous tardiez à rentrer ?"
Il s'était voulu détaché de sa question, et il espérait surtout que Uial le voit ainsi aussi. Ysaak donna un coup de pied dans un petit caillou, et reprit, enfin en confiance :
"-Vous habitez ici depuis longtemps ? Au fait... Je voudrais vous remercier, la plante a beaucoup plu à Ma, elle s'en occupe comme d'un enfant."
Il sourit à nouveau, mais plus ils se rapprochaient de leur destination, plus il sentait les regrets poindre en lui. Ils allaient certainement d'abord s'arrêter chez le fleuriste, et il aurait à rentrer tout seul, à la petite maison de Ma, à l'extrémité sud du village.

Ainsi il avait déjà trouvé tout ce qu'il lui fallait...
Une compagne capable d'apaiser ses peines et ses souffrances, avec la douceur d'une mère et l'amour d'une amante.
Uial ne cessait de sourire, mais il avait en réalité plus envie de laisser ce pipc de douleur exploser dans son ventre et se mettre à pleurer sans raison apparente.
Il se força à parler tout en marchant aux côté d'Ysaak, si près de lui et pourtant si loin.

- J'habite ici depuis... je n'ai pas compté. Peut-être bien un demi-siècle, voir plus... Tout occupé que je suis avec mes plantes, je ne vois même pas le temps passer. C'est peut-être comme ça qu'elles deviennent si résistantes. Je suis heureux qu'elle aille bien chez vous.

Puis il soupira et regarda le ciel virer au rouge, comme celui de ses yeux et de son prénom, avant de reprendre.

- Chez moi... non, il n'y a personne, sauf de vieux fantômes qui s'attardent malgré moi..." ses mots étaient détachés les uns des autres, et chaque son qui sortait de sa bouche tirait derrière lui un fil relié à son coeur.
Après tout, ce n'était pas un secret; mais cela lui faisait mal.
Lentement, inexorablement, ils se rapprochaient de la sortie du parc.
Il allait pretexter quelque chose, une dernière visite à faire, pour ne pas obliger Ysaak à l'accompagner chez lui et rester des heures sur le pas de la porte à se dire adieu.

- Vous partez par où?" demanda-t-il, l'air de ne pas y toucher. "Moi je dois encore passer chez le boulanger. Il est encore ouvert.

Ysaak réfléchit un instant et répondit :
"-Je vais vous accompagne dans ces cas-là, j'habite quelques mètres plus loin, vous ferez la connaissance de Ma, elle est très gentille. Mais essayez de résister, je suis sûr qu'elle vous invitera à dîner."
Il sourit discrètement, mais se rembrunit quand ils quittèrent le parc, s'engageant dans la grande avenue qui commençait à se vider. Ils marchaient en silence, comme ayant épuisé tous les sujets de conversation possibles. Il avait beau se creuser la tête, il ne trouvait rien, d'autant plus qu'il n'en avait pas l'habitude. Il repensait encore à ce que lui avait dit Uial * de vieux fantômes du passé... j'aimerai savoir de quoi il parle... * Mais il n'osait pas demander, ils n'étaient pas assez proches, pour ça ? Le seraient-ils un jour, d'ailleurs ?
Ils s'arrêtèrent enfin devant le boulanger, et Ysaak hésita à rentrer avec Uial, puis décida de patienter dehors. Quand il ressortit enfin, une baguette sous le bras, il l'invita à le suivre, et s'arrêtèrent devant une maison, un peu plus loin. Ysaak poussa la porte, et s'écria :
"-Ma, je suis rentré !"
Des pas à l'étage se firent entendre, et une vieille femme descendit les escaliers, bon an mal an, avant de venir se serrer contre Ysaak, l'embrassant sur la joue, avant de dire :
"-Bonsoir, fiston, tu vas bien ? s'inquiéta t-elle. Oh, tu as amené un ami."
Elle se tourna vers Uial.

Uial étrait pris à son propre piège.
Il avait prétexté ce besoin de pain pour quitter Ysaak au plus vite, mais voilà que c'était précisément là où se rendait le brun.
Il fut condamné à marcher encore avec lui, faisant mine d'être à l'aise et de profiter agréablement de ce début de soirée.
Il ne fut pas très poli ni éloquant avec le boulanger, et resorti pour accompagner le brun chez lui.
Plus ils approchaient de la maison qu'avait indiqué le professeur, plus Uial devenait anxieux.
Il allait la voir... Celle qui connaissait Ysaak mieux que personne, celle qui partagait sa vie et son âme, et même sa couche...
Pourquoi se disait-il cela? En quoi est-ce que cela le regardait, et pourquoi cela le gênait-il? Il se trouvait monstrueusement bête et égoïste.
Nergal ouvrit la porte et s'annonça.
Une lampe s'alluma dans le petit couloir d'entrée et des pas retentirent au premier étage.
A chaque pas correspondait un battement de coeur d'Uial.
Il détourna la tête un instant, se refusant à voir arriver cette femme, Ma que le brun semblait tant aimer.
Et quand il entendit sa voix, une voix mûre et légèrement chevrotante, l'appeller "fiston", il reporta brusquement son regard sur elle.
Elle était petite et mince, le visage plein de gentilles rides et les cheveux grisonnants tirés en un grand chignon.
Uial restait petrifié.
Il en comprenait plus, n'osait plus comprendre ce qu'il se passait.
Puis il se rendit compte qu'il devait avoir l'air vraiment étrange, à la fixer de ses yeux appeurés, les bras ballands.

- Je... Bonsoir, je... suis Uial en-Laer, le fleuriste." réussit-il à dire avec une esquisse de sourire poli.

Ysaak laissa repartir Ma de ses bras, et se tourna vers Uial, , qui se présenta, un peu hésitant, et visiblement perdu. Le brun eut une moue inquiète, se demandant soudain ce qu'il arrivait au jeune homme, ou s'il avait fait quelque chose de mal, quelque chose qui aurait pu le vexer. Ma le regardait, un peu étonnée, elle aussi, et se sentant soudain mal à l'aise, faisant preuve d'une lâcheté dont il ne se serait pas cru capable, il s'écria soudain qu'il allait se changer, et abandonna Uial, à l'interrogatoire corcé qu'avait du lui préparer la vieille femme en quelques secondes. Il s'enfuit vers sa chambre, et se sépara de ses grands habis sombres, cherchant dans l'armoire en chêne près de son lit, quelques vêtements plus agréable à porter. Il attrapa un pull, qu'il passa à même la peau, et un pantealon blanc, couleur qu'il ne s'autorisait qu'à porter ici. Mais alors qu'il redescendait et qu'il touchait la dernière marche, sa mémoire lui revint comme un boomerang. POussé par l'habitude, il avait oublié Uial, et il se présentait maintenant à lui, dans un pareil accoutrement. Il rougit furieusement, alors qu'il voyait leurs regards sur lui, et baissa la tête, honteux.

Uial crut que le sol s'ouvrait sous ses pieds pour le laisser tomber au fond d'une abîme infernale lorsqu'Ysaak le quitta sasn prévenir, le laissnt seul et prit au dépourvu devant la vieille femme.
Il reprit constance et sourit à Ma, se demandant ce qui allait se passer par la suite.
Bizarrement, la femme garda le silence, se contentant de détailler Uial - qui ne savait plus où se mettre - sous toutes les coutures.
Puis Ysaak revint, changé, et incroyablement beau alors que son large menteau ne le camouflait plus. Au contraire, le pantalon de toile blanche et le pull léger à col en V qu'il avait mis moulaient agréablement ses formes.
Uial se prit de passion pour le sol, se sentant devenir aussi rouge que sa tunique.
Ma s'exclama lorsque son "fiston" revint et commença à parler.