A quoi bon ?

Ysaak s'était levé tôt, aujourd'hui, morose, et de mauvaise humeur. Il voulait oublier Uial mais il n'y arrivait pas, il revoyait ses lèvres, ses baisers mais aussi son visage, quand il lui demandait de partir, et ses yeux décidés, pour ne plus le voir. Il regrettait de s'être laissé ainsi tenté, mais aussi et surtout, que cette tentation l'ait mené à la catastrophe. Pourquoi s'était-il perdu dans un jeu aussi idiot ? Il aurait dû savoir qu'il n'était pas pour lui, qu'il avait déjà tout, et qui voudrait d'un type tel que lui, un balafré, qui ne savait rien faire de sa vie.
Il était venu tôt ce matin, pour préparer une interrogation pour ses élèves, et il avait permis à Verdelet de venir avec lui dans la classe, même si son oiseau lui rappelait Uial. Il avait même trouvé dans ses plumes un cheveu blond qui s'y était pris.
Il grifonnait sur sa feuille des questions, dont aucun de ses gamins qui venaient prendre des cours n'avaient probablement pas la réponse. Il levait parfois la tête, pour regarder par la fenêtre espérant peut-être voir quelque chose arriver. Quoi ou qui ?
Il secoua la tête, et fronça les sourcils.

Peu avant huit heure, Uial s'était rendu à l'école pour terminer le jardin de Naur, comme il l'avait promis.
Il était là, avec son chariot, planté dans la petite cour, devant l'entrée.
C'était un mardi. Les enfants avaient cours.
Donc Ysaak devait être en classe aujourd'hui...
Il hésitait à entrer et restait sans bouger, le regard fixe, les yeux cernés, les cheveux défaits, les vêtements froissés - il n'avait pas dormi, juste pleuré, et ne s'était même pas changé, se fichant pour la première fois de sa vie de son apparence.
Il était juste resté longtemps devant sa glace, au petit matin, essayant de chercher des réponses, en vain. Son reflet était horrible. Au lieu de l'homme d'entre vingt et trente ans qu'il voyait habituellement, se trouvait une chose informe qui faisait bien, et même plus, les quelques dix-neuf siècles qui le séparait du jour de sa naissance.
Il ne savait même pas comment il avait pu sortir dans la rue.
Peut-être seule la promesse faite à Naur lui en avait donné la force. Histoire de se donner bonne conscience et de se faire croire qu'il n'était pas si bon à rien finalement.
A deux mains, il prit le manche de son chariot et le poussa lentement, un pas après l'autre, un mètre après l'autre, sa marche rythmée par le grincement régulier d'une des roues où devait s'être pris un petit gravier.
La porte, puis le couloir sombre... Uial avait l'impression d'avancer en flottant dans le culoir de la mort.

Ysak se redressa, tout comme Verdelet, qui avait fixé la porte, les sens en éveil. Ce bruit... C'était celui des roues du chariot de Uial. Le fleuriste était il revenu le voir ? Il se mit une gilfe mentalement, pourquoi serait-il retourné pour le rencontrer, s'il avait son chariot, c'était certainement pour terminer ce qu'il avait commencé hier, ce que lui avait demandé Naur. Pourtant, l'occassion était trop belle, et il ne put résister, il ne pouvait pas laisser s'enfuir le jeune homme. Il repoussa ce qu'il était en train de faire, et faisant tomber les feuilles par terre, et il se précipita à l'extérieur, ouvrant la porte à la volée. Il tourna la tête et vit Uial qui s'apprêtait à disparaître dans la salle de sciences, et il s'élança à sa poursuite, oubliant ses principes, sa retenue, et tout ce qu'il avait été. Il entra dans la pièce et prit le chemin du jardin. Il s'arrêta à quelques mètres du blond, et d'une voix calme, il souffla :
"-Uial..."
Il insistait, mais cela en valait-il la peine ? Il aurait aimé dire oui, mais qu'en était-il pour Uial ?

Uial était entré dans le jardin.
Il ne savait même pas ce qu'il faisait là.
Ah oui, arroser, et regarder si tout allait bien , pour Naur...
Il prit l'arrosoir mais le laissa tomber par terre.
Il le regarda longuement, sans savoir quoi faire.
Sans doute fallait-il le ramasser...
Il soupira.

- Uial...

Il lui semblait qu'on l'appelait. Mais qui pouvait bien le faire? Personne ici ne le connaissait.
Personne, sauf... Ysaak.
Ca ne pouvait pas être lui, il devait le haïr; pourtant en se retournant, il cru bien reconnaître cette silhouette, ces cheveux mi-longs et bruns foncés, ces vêtements noirs comme étant ceux du professeur.
Le blond tomba brusquement au sol, prit d'un haut-le-coeur insoutenable, les larmes inondant à nouveaux ses joues comme elles l'avaient fait une bonne partie de la nuit.

- Ysaak... Ysaak, je t'en supplie...!" gémit-il en se traînant dans la terre. "Pardonnes-moi je t'en supplie! Ne me fuis pas...!

Sa voix se brisa et il se mit à hurler, martelant le sol de ses poings en suppliant la terre entière de faire en sorte que le brun ne lui en veuille pas.

Quand il le vit chuter à terre, Ysaak prit peur et s'avança de quelques pas, mais s'arrêta soudain, quand il l'entendit hurler. Il ne lui en fallut pas plus pour s'élancer vers lui, tombant à ses genoux, près de lui. Il attrapa ses poignets, l'empêchant de frapper le sol de ses mains, et le ramena vers lui. Uial se laissa faire et dès qu'il fut à proximité de Ysaak, il jeta ses bras autour de son cou.

"-Chut, shh... Ne pleure pas, ne pleure plus, sinon je vais m'y mettre aussi... Tu n'as rien fait qui appel à des excuses. Je te jure, tu n'as rien fait."

Il se serra à son tour contre lui, et ils se retrouvèrent tous les deux, assis au sol, à s'étreindre, dans l'herbe raze, et les fleurs. Il passa sa main gantée dans les cheveux blonds, et l'embrassa doucement au coin des lèvres, puis reprit :

"-Si quelqu'un nous voie comme ça, nous aurons l'air malin."

Il sourit doucement, et essuya les joues de Uial, mais fronça les sourcils, le fleuriste avait les traîts tirés, il ne sétait pas changé depuis la veille. Il remit en place sa tunique un peu débraillé, et lui chuchota, calmement :

"-Viens, je vais te raccompagner jusqu'à chez toi, si tu veux."

Uial secoua frénatiquement la tête et resta accroché à Ysaak.
Il ne cessait de répéter la même chose et de sangloter, malgré le fait que le brun lui ait assuré qu'il n'avait rien fait de mal.
Il passait ses mains dans les mèches brunes, caressait son visage de ses doigts tremblant et l'embrassait partout, sur ses yeux, son nez, sa bouche.

- Pardon... je ne voulais pas te faire du mal, pardon... Embrasses-moi je t'en prie, dis-moi que tu ne m'en veux pas...

Sans même attendre de réponse de la part du professeur il cella ses lèvres aux siennes et glissa sa langue dans la bouche chaude d'Ysaak jusqu'à en perdre haleine.

- Ne me lâche pas, je t'en prie, je ne veux pas que tu partes..." gémit-il contre la peau pâle du Démon. "Je me fiche d'être sale ou qu'on nous voient, je veux juste être là dans tes bras, Ysaak, s'il te plaît...!

Mais le brun le leva de force en lui intimant l'ordre de se taire, sans méchanceté toutefois, puis il l'accompagna sans que l'Efle ne résiste jusqu'au magasin.
Une fois là-bas, ils montèrent dans l'appartement du fleuriste et, à peine la porte refermée, Uial reprit ses baisers.